Un processus moderne de résolution des conflits
La résolution des conflits individuels du travail a été ouverte en France à la médiation dans les années mille neuf cent soixante dix, par des pratiques judicaires prétoriennes, conduisant les magistrats à ordonner des médiations dans le cadre de leur mission générale de conciliation des parties (cf. Béatrice Blohorn – Brenneur). Ces pratiques expérimentales ont été consacrées par la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. Le législateur, sans remettre en cause la mission générale de conciliation conférée au juge, a entendu également confier à celui-ci la possibilité de mettre en œuvre avec l’aide d’une tierce personne un processus de résolution des conflits placés sous main de justice. La loi donne aux parties en litige la possibilité de trouver entre elles un « accord » à tous les stades de la procédure. Ainsi depuis la loi de 1995, la médiation peut-elle être mise en œuvre pour tout litige civil dont est saisi le juge au terme l’article 131-1 du Code de procédure civile. Celui-ci peut : « après avoir recueilli l’accord des parties, désigner une tierce personne afin d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ». Le décret du 22 juillet 1996 constitue le socle fondateur réglementaire de la médiation judiciaire, mais également de la médiation conventionnelle, depuis que la loi du 17 juin 2008 devenue l’article 2238 du Code civil dispose que la médiation suspend la prescription. Le délai court à compter de la fin du processus. Il ne peut être inférieur à six mois. Ainsi, « la médiation offre la possibilité de pacifier le conflit en permettant à chacun d’exprimer ses ressentis et de s’expliquer . Elle responsabilise les parties et leur permet de trouver elles-mêmes une solution rapide, durable et exécutée volontairement au plus près des intérêts de chacun. » (cf. Béatrice Blohorn-Brenneur Refondation du droit social) .
Un processus conceptuellement structuré
Deux procédures légales de médiation permettent de résoudre les litiges nés des relations humaines contractuelles du travail cœxistantes : l’une pour le règlement des conflits collectifs, l’autre pour les litiges individuels. Bien qu’elles aient apparemment la même finalité, elles se traduisent par des modalités de mise en œuvre substantiellement différentes :
- la première aboutie à des « recommandations » élaborées et formulées par le médiateur sur lesquelles les parties doivent donner leur accord pour que soit résolu leur litige,
- la seconde repose sur « l’accord » auquel les parties parviennent entre elles avec l’aide d’un médiateur.
Sous la même dénomination, ces deux procédures mises en œuvre pour prévenir ou résoudre des litiges nés des relations humaines au travail, révèlent deux conceptions différentes de la médiation. La première trouve son aboutissement dans une logique « d’adversité » et repose sur « l’affrontement » des parties. Pour la seconde, les parties adoptent une posture « d’altérité » leur permettant de se «comprendre » mutuellement . L’une traite les conséquences du litige, l’autre traite les causes du litige. Le règlement apporté est, dans un cas temporel et factuel parfois éphémère, dans l’autre cas, il présente les caractéristiques d’un règlement durable.
Le Conseil d’État en observant le champ d’application de la Directive européenne du 23 mai 2008 dans son rapport du 29 juillet 2010 « Développer la médiation dans le cadre de l’Union européenne », juge essentiel le caractère intra européen qui ne fait pas obstacle selon lui à ce que les dispositions de la directive puissent servir de cadre de référence pour les médiations internes.
Cependant, dans le domaine du droit du travail, il indique que dans le très bref délai imparti, il n’a pas été en mesure d’obtenir de la part des administrations concernées, des informations suffisantes de nature à lui permettre d’effectuer le travail de qualification juridique nécessaire à la transposition demandée par le Premier Ministre.
La médiation pour la résolution des litiges collectifs et individuels fait indéniablement partie des « processus internes » visés par la Directive, faisant obligation aux États membres de l’appliquer aux médiations internes en ayant recours aux techniques modernes de communication, sans pouvoir néanmoins s’appliquer aux droits et obligations dont les parties ne peuvent disposer par elles-mêmes relatives aux dispositions d’ordre public ayant un caractère impératif non transgressable individuellement ou collectivement.
Le droit du travail français ne fait pas « obligation » de recourir à la médiation. Ce n’est pour les parties qu’une « faculté » qui relève des droits fondamentaux de la personne et des libertés collectives et individuelles. Elle ne fait donc pas obstacle à des dispositions d’ordre public susceptibles de s’opposer à sa mise en œuvre. S’il n’apparaît pas souhaitable à la France de laisser coexister deux régimes de médiation distincts selon la nature des litiges, il est alors légitime qu’elle encadre la résolution par la médiation des litiges nés des relations du travail. Sans pour autant la rendre obligatoire, bien que cette possibilité mérite examen, seule la médiation fondée sur les principes directeurs énoncés par le droit européen permettrait de sortir des logiques d’adversité et d’affrontement caractérisant trop souvent les relations sociales professionnelles dans les entreprises pour permettre d’envisager une compréhension et une reconnaissance mutuelles des parties apaisant leurs relations en apportant un règlement durable à leurs différends.
Michel Augras souligne à juste titre le retard de la France dans le domaine de la négociation des relations du travail qui concerne au quotidien 25 millions de nos concitoyens. Le respect de la réglementation européenne permettrait à n’en point douter de sortir des pratiques ancestrales « d’affrontement » qui caractérisent à l’excès nos modes résolutoires des conflits ou des litiges au travail qu’ils soient collectifs ou individuels. Mais surtout, ce qui paraît essentiel pour les parties concernées c’est la « reconnaissance » que pourrait leur apporter la médiation dans la légitimité de leur point de vue par une recherche de compréhension mutuelle. C’est l’essence même d’un véritable accord dont ils deviendraient les acteurs exclusifs. A l’inverse, nous voyons bien les limites de la conciliation qui demeure qu’une étape dans la résolution des conflits. A la finale, la conciliation s’impose aux partenaires qui n’ont pas d’autres choix que de l’accepter ou de la refuser, alors que la médiation, tel que nous la présente Michel Augras, nous ouvre la voie d’une véritable négociation permettant d’entrevoir un accord durable.Les pouvoirs publics seraient bien inspirés de transposer rapidement en droit interne la directive européenne, en donnant aux partenaires sociaux les voies et les moyens d’accéder à la médiation par un processus réglementaire qui leur garantisse sa confidentialité sous la conduite d’un médiateur neutre, indépendant, qualifié, garant de l’éthique et de la déontologie de ses service et qu’ils auraient librement choisi. JM ICARD Ancien Secrétaire National CFE-CGC
Félicitations Michel Augras pour cette présentation détaillée de la médiation, en tant qu’outil de prévention et résolution des conflits du travail, trop peu connu et souvent mal utilisé en France. Vous avez raison de valoriser le travail réalisé en ce domaine au niveau de l’Union européenne, à travers notamment la Directive du 21 mai 2008, qui s’inspire des « meilleures pratiques » qui existent dans les Etats-membres de l’Union, notamment dans les pays nordiques. Le climat morose dans lequel la France semble s’installer et les nombreuses tensions qui se font jour dans ce contexte appellent à des solutions raisonnées d’écoute, de dialogue, de résolution des conflits à travers la négotiation, à l’image de ce que nous nous efforçons de faire chaque jour, dans un contexte européen. J’espère que votre encouragement à la médiation suscitera de nombreuses vocations, meilleurs voeux de réussite
Olivier Brunet, fonctionnaire à la Commission européenne, gestionnaire du programme européen de recherche « Régions de la connaissance » visant à favoriser la coopération, au niveau européen, entre pôles de compétitivité, au service du développement régional
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