Un processus efficace et sécurisé
Cette directive européenne confère en outre à la médiation une obligation de confidentialité à l’égard du médiateur, mais également à l’égard de toute personne participant à l’administration du processus de médiation. Sauf pour des raisons impérieuses d’ordre public, seules les parties peuvent d’un commun accord lever la clause de confidentialité par laquelle elles sont liées. Elles peuvent également le faire lorsque la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour mettre en œuvre ou pour exécuter leur accord. Dans la pratique cela exclu, quelque soit l’issue de la médiation, que celle-ci puisse être soumise à une procédure d’arbitrage tel que le prévoient cependant les actuelles dispositions de l’article L.2524-3 du Code du travail stipulant : « Lorsque le conflit est soumis à l’arbitrage, les pièces établies dans le cadre des procédures de conciliation ou de médiation sont remises à l’arbitre ». Le droit européen reconnaît aux parties la liberté de soumettre volontairement leur litige à la médiation. Elles n’ont pas à en justifier. La cause demeure strictement confidentielle. La confidentialité est l’élément essentiel de la sécurisation juridique que doit apporter la France pour que la prévention et la résolution des conflits collectifs et individuels du travail par le processus de la médiation puissent être conduit de façon cohérente, efficace et conforme.
A cet égard, il convient de s’interroger sur la conformité de l’article L.1152-6 du Code du travail relatif à la « procédure de médiation » mise en œuvre par toute personne d’une entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause. Lorsque le médiateur après avoir tenté de « concilier » les parties, leur soumet par écrit des propositions en vue de mettre fin au harcèlement, la médiation perd nécessairement de son caractère confidentiel. Bien que la procédure de médiation du harcèlement moral ne conditionne aucunement le recours à la voie contentieuse (cf. Rapport Assemblée Nationale n°338 p.85) l’existence d’un écrit non qualifié par la loi peut par nature constituer un élément de preuve pour toute instance civile ou pénale. Si telle n’a pas été l’intention du législateur, il lui revient alors d’engager un processus de transposition de la Directive européenne pour rendre conforme la médiation des litiges relatifs au harcèlement moral. Cette clarification est d’autant plus nécessaire, que le processus légal de médiation en vigueur n’a pas explicitement pour objectif que les parties trouvent ensemble un accord avec l’aide d’une tierce personne. Cette médiation est seulement une « facilitation » tendant à comprendre et à gérer un conflit relationnel entre deux ou plusieurs personnes d’une même entreprise (cf. Michel Perron – mars 2009). Des garanties de confidentialité doivent donc être apportées aux parties pour leur donner la confiance nécessaire pour y recourir. De même convient-il de s’interroger sur l’ « impartialité » du médiateur dont on imagine difficilement qu’il puisse avoir un lien direct ou indirect avec les parties, dès lors qu’il serait lui même salarié de l’entreprise. Des garanties de neutralité doivent également être données aux parties (1).
Prévenir et résoudre les conflits du travail par la médiation
En présentant en avril 2002, un livre vert sur les modes alternatifs de résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, la Commission Européenne entendait encourager le recours à la médiation. Largement inspirée de « pratiques innovantes » observées dans l’espace communautaire, la Directive 2008/52/CE relative à certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, ouvre dorénavant la voie de la rénovation de la prévention et de celle de la résolution des conflits collectifs et individuels du travail. Elle légitime également toute démarche d’adaptation des autres modes résolutoires des conflits que sont la conciliation et l’arbitrage, lesquels doivent tenir compte de la place prise par la médiation dans le système collectif et individuel de prévention et de résolution des conflits du travail rénové (cf. Jacques Barthélémy – L’arbitrage, avenir du droit du travail – mars 2009).
Plus largement, le droit communautaire ouvre également la discussion à la possibilité de rendre la médiation obligatoire, tel que le prévoit la directive. L’obligation et non plus la faculté de recourir à la médiation, notamment pour les conflits individuels, pourrait constituer une extension de la liberté contractuelle des parties en conformité avec le droit du contrat. Il conviendrait cependant que le processus de médiation, ainsi légalisé, puisse permette « l’inimaginable discussion » (cf. Jean-Louis Lascoux – novembre 2007) à partir de laquelle les parties fonderaient librement et en toute responsabilité l’accord résolutoire de leur litige.
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(1) L’accord national interprofessionnel signé le 26 mars 2010 par les partenaires sociaux vise à sensibiliser, prévenir et gérer le harcèlement et la violence au travail. L’accord prévoit que des salariés harcelés ou agressés ainsi que la personne mise en cause puissent avoir recours à la procédure de médiation prévue par l’article L.1152-6 du Code du travail à l’exclusion de l’alinéa 4 sans toutefois apporter de précisions sur sa mise en oeuvre.
Ref : Le Code de la Médiation, annoté et commenté pour l’orientation de la médiation, Médiateurs Editeurs, 2009
Le Conseil d’État en observant le champ d’application de la Directive européenne du 23 mai 2008 dans son rapport du 29 juillet 2010 « Développer la médiation dans le cadre de l’Union européenne », juge essentiel le caractère intra européen qui ne fait pas obstacle selon lui à ce que les dispositions de la directive puissent servir de cadre de référence pour les médiations internes.
Cependant, dans le domaine du droit du travail, il indique que dans le très bref délai imparti, il n’a pas été en mesure d’obtenir de la part des administrations concernées, des informations suffisantes de nature à lui permettre d’effectuer le travail de qualification juridique nécessaire à la transposition demandée par le Premier Ministre.
La médiation pour la résolution des litiges collectifs et individuels fait indéniablement partie des « processus internes » visés par la Directive, faisant obligation aux États membres de l’appliquer aux médiations internes en ayant recours aux techniques modernes de communication, sans pouvoir néanmoins s’appliquer aux droits et obligations dont les parties ne peuvent disposer par elles-mêmes relatives aux dispositions d’ordre public ayant un caractère impératif non transgressable individuellement ou collectivement.
Le droit du travail français ne fait pas « obligation » de recourir à la médiation. Ce n’est pour les parties qu’une « faculté » qui relève des droits fondamentaux de la personne et des libertés collectives et individuelles. Elle ne fait donc pas obstacle à des dispositions d’ordre public susceptibles de s’opposer à sa mise en œuvre. S’il n’apparaît pas souhaitable à la France de laisser coexister deux régimes de médiation distincts selon la nature des litiges, il est alors légitime qu’elle encadre la résolution par la médiation des litiges nés des relations du travail. Sans pour autant la rendre obligatoire, bien que cette possibilité mérite examen, seule la médiation fondée sur les principes directeurs énoncés par le droit européen permettrait de sortir des logiques d’adversité et d’affrontement caractérisant trop souvent les relations sociales professionnelles dans les entreprises pour permettre d’envisager une compréhension et une reconnaissance mutuelles des parties apaisant leurs relations en apportant un règlement durable à leurs différends.
Michel Augras souligne à juste titre le retard de la France dans le domaine de la négociation des relations du travail qui concerne au quotidien 25 millions de nos concitoyens. Le respect de la réglementation européenne permettrait à n’en point douter de sortir des pratiques ancestrales « d’affrontement » qui caractérisent à l’excès nos modes résolutoires des conflits ou des litiges au travail qu’ils soient collectifs ou individuels. Mais surtout, ce qui paraît essentiel pour les parties concernées c’est la « reconnaissance » que pourrait leur apporter la médiation dans la légitimité de leur point de vue par une recherche de compréhension mutuelle. C’est l’essence même d’un véritable accord dont ils deviendraient les acteurs exclusifs. A l’inverse, nous voyons bien les limites de la conciliation qui demeure qu’une étape dans la résolution des conflits. A la finale, la conciliation s’impose aux partenaires qui n’ont pas d’autres choix que de l’accepter ou de la refuser, alors que la médiation, tel que nous la présente Michel Augras, nous ouvre la voie d’une véritable négociation permettant d’entrevoir un accord durable.Les pouvoirs publics seraient bien inspirés de transposer rapidement en droit interne la directive européenne, en donnant aux partenaires sociaux les voies et les moyens d’accéder à la médiation par un processus réglementaire qui leur garantisse sa confidentialité sous la conduite d’un médiateur neutre, indépendant, qualifié, garant de l’éthique et de la déontologie de ses service et qu’ils auraient librement choisi. JM ICARD Ancien Secrétaire National CFE-CGC
Félicitations Michel Augras pour cette présentation détaillée de la médiation, en tant qu’outil de prévention et résolution des conflits du travail, trop peu connu et souvent mal utilisé en France. Vous avez raison de valoriser le travail réalisé en ce domaine au niveau de l’Union européenne, à travers notamment la Directive du 21 mai 2008, qui s’inspire des « meilleures pratiques » qui existent dans les Etats-membres de l’Union, notamment dans les pays nordiques. Le climat morose dans lequel la France semble s’installer et les nombreuses tensions qui se font jour dans ce contexte appellent à des solutions raisonnées d’écoute, de dialogue, de résolution des conflits à travers la négotiation, à l’image de ce que nous nous efforçons de faire chaque jour, dans un contexte européen. J’espère que votre encouragement à la médiation suscitera de nombreuses vocations, meilleurs voeux de réussite
Olivier Brunet, fonctionnaire à la Commission européenne, gestionnaire du programme européen de recherche « Régions de la connaissance » visant à favoriser la coopération, au niveau européen, entre pôles de compétitivité, au service du développement régional
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