L’indépendance d’un médiateur est essentielle pour que les parties puissent avoir confiance en lui. Mais comment être certain que cette condition est respectée ? Pareillement, qu’est-ce qui peut faire que les parties seront assurées de l’impartialité du tiers ? Quid de la neutralité ?
Voici plusieurs années, vers 2003, j’ai été amené à clarifier ces trois notions qui intéressent de nombreuses professions. Lorsqu’on parle de l’indépendance d’un magistrat par exemple et qu’on entend souvent parler des promotions et de la valse dans les postes au sein de la magistrature, la question reste entière. L’indépendance du système judiciaire par rapport aux hommes politiques pose toujours question.
Les affaires sont parfois moins médiatiques, mais tout autant problématique. Les intérêts financiers conjugués aux affinités politiques compromettent souvent les personnes. Mais l’un des deux enjeux suffit à mettre en cause l’impartialité, qu’il s’agisse d’un juge, d’un arbitre, ou d’un médiateur. Tout tiers est susceptible de se faire influencer dès lors qu’il est trop proche de l’une des parties. La différence entre un arbitre ou un juge et un médiateur, c’est que ce dernier ne rend pas une décision. Mais il n’en reste pas moins un tiers d’influence, a fortiori lorsqu’il rend un rapport qui sort de ses attributions.
La confusion continue de régner chez beaucoup et certains en font des manquements graves. Ces aspects sont pourtant fondateurs de l’intervention d’un médiateur lors de relations conflictuelles. Clarifiés, ils font parties des invariants de posture d’un médiateur professionnel et sont mentionnées dans le Code d’Ethique et de Déontologie des médiateurs, le CODEOME. Toute entorse est de nature à engager la responsabilité professionnelle.
Souvent, par amalgame, la confidentialité est ajoutée aux trois éléments de posture très nettement identifiables chez les médiateurs professionnels. Or, les trois premiers sont des engagements plutôt éthiques, au sens d’attitudes et de comportements, tandis que la confidentialité est rattachée à une garantie qui peut être plus facilement identifiable.
La confidentialité, c’est la garantie que le médiateur s’engage à apporter aux personnes en raison du huis clos qu’elles ont choisi avec la médiation. Il s’engage à ne pas répéter, ne pas donner plus d’écho ni à véhiculer. Il s’engage à ne pas divulguer ce qu’il est amené à entendre. Il offre cette garantie, parce qu’il sait que des personnes en conflit sont susceptibles de proférer toute sorte d’abomination. C’est le principe même du conflit d’agiter les émotions les moins fréquentables, voire les plus détestables. Dans tous les cas, seules les parties sont responsables de la publicité de leurs propos. Elles-mêmes peuvent s’engager à ne pas faire sortir la nature et le contenu de leurs échanges. Quant au médiateur, en dépit d’éventuelle pression, aucun mot ne saurait déclencher une modification de cette garantie.
Concernant les éléments de posture, l’indépendance dont il s’agit ici n’est pas liée à l’exercice d’une profession libérale. Si on parle de profession indépendante, cette dernière est liée aux conditions légales d’exercice d’une activité, notamment au regard de la comptabilité et de la fiscalité. Il s’agit ici de l’indépendance par rapport à ce qui peut faire subordination. Cette indépendance est relative à une influence qui pourrait paraître extérieure à la situation relationnelle que le médiateur professionnel est amené à connaître. La spécificité culturelle ou religieuse, voire simplement la revendication de valeurs morales, peuvent-être rattachée à cette notion d’indépendance. Mais il s’agit surtout du rapport de domination, de hiérarchie et de tutelle.
La neutralité est souvent confondue soit avec l’indépendance, soit avec l’impartialité. S’il existe une interaction, la neutralité se distingue nettement quand il s’agit de pointer la relation qu’une personne peut avoir avec une décision, un choix, une pratique ou une solution. Le cadre de référence d’un observateur peut brouiller son appréciation et impliquer sa posture. La neutralité se rattache aisément à l’indépendance lorsqu’il s’agit des questions de valeurs. Mais les difficultés de neutralité se font ressentir lorsque l’expertise vient s’opposer à un choix, pour dire ce qui serait mieux, tandis que le choix est fait au regard d’une relation. La neutralité s’apprécie relativement à la solution que les parties d’un différend peuvent adopter.
Enfin, l’impartialité. Cette idée d’impartialité est très claire, lorsque le mot est lu en tant qu’il désigne la relation avec une partie. Il évoque la relation d’intérêt affectif, matériel ou financier. Il englobe la connivence, le parti lié. Le fait d’être d’une même famille ou d’avoir des intérêts collatéraux peut interroger légitimement sur l’impartialité du tiers.
Parfois, les notions sont très imbriquées et les nuances peuvent paraître plus subtiles. Par exemple, le fait pour un médiateur de faire partie d’une même association que l’un des protagonistes, d’un même regroupement ou d’une même famille politique fréquentée qui plus est localement, devrait conduire le médiateur professionnel à ne pas intervenir en tant que médiateur.
Dans tous les cas, le médiateur professionnel doit témoigner de son indépendance, de sa neutralité et de son impartialité. Il doit pouvoir en répondre. Il engage sa responsabilité professionnelle, ainsi que la réputation de ses collègues. Le rapport que le médiateur peut être amené à fournir à un magistrat ou tout autre prescripteur, doit être approuvé par les parties dès lors qu’il dépasse le contenu strict de la conclusion totale ou partielle d’un accord. Dans le cas contraire, encore une fois, le médiateur risque d’engager sa responsabilité professionnelle.
A savoir que dans le cadre d’une médiation judiciaire, le rapport que le médiateur est tenu de présenter au juge se limite au constat que la médiation a abouti ou non, sans qu’aucune explication ou justification ne soit versée aux débats. Ainsi, en respectant cette disposition légale, le médiateur ne devrait pas engager sa responsabilité.
Enfin, dans le cadre d’une procédure judiciaire, si l’une des parties considère que l’indépendance, la neutralité ou l’impartialité du médiateur ne sont pas garanties, elle peut accepter la médiation tout en demandant la désignation d’un autre médiateur.
Les médiateurs, a fortiori les professionnels, doivent être vigilants à ne pas produire des rapports qui ne respecteraient pas les éléments de posture que leur impose leur intervention et à respecter la confidentialité des échanges.
Dans le milieu syndical ouvrier, qui m’est un peu familier, on n’envisage jamais l’indépendance de façon absolue. N’importe quel syndicaliste sait qu’on est toujours dépendant de quelque chose ou de quelqu’un, y compris dans la défense de l’intéret de la partie faible signataire du contrat de travail. Alors, « indépendant », ça veut dire « sans lien avec l’employeur ». Ca veut dire que l’employeur ne va pas pouvoir faire pression pour imposer un intérêt (impartialité) ou un protocole d’accord (neutralité) apparemment syndicaux mais en réalité soumis à ses propres exigences. Pas de subordination à l’entreprise, pas de domination de l’employeur… Mais en revanche, oui, une adhésion aux thèses de son syndicat, aux décisions de son syndicat, aux votes de son syndicat… Auquel on est censé avoir adhéré librement et qu’on est censé pouvoir quitter de même.
Un peu de la même façon, le médiateur est indépendant du pouvoir (subordination, domination, hiérarchie, tutelle…) mais il est attaché (!) aux valeurs de la Chambre, il est soumis à un code d’éthique et de déontologie, à une obligation de confidentialité…
Les invariants de posture d’un médiateur professionnel sont à travailler au quotidien dans les rapports aux autres comme dans les interventions quelles soient judiciaires ou conventionnelles. Cet article nous rappelle que tout n’est pas toujours aussi simple entre théorie, déontologie et acte ….
c’est pourquoi je partage :
»Les médiateurs, a fortiori les professionnels, doivent être vigilants à ne pas produire des rapports qui ne respecteraient pas les éléments de posture que leur impose leur intervention et à respecter la confidentialité des échanges. »
l’indépendance c’est d’abord une affaire de posture ; on est un homme libre ou sous influence suivant le rapport que l’on entretien avec la notion de pouvoir…
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