La présentation des auteurs ci-après peut être très trompeuse. En effet, vous avez ci-dessous un discours très officiel concernant des “découvertes” qui en fait ne sont que des interprétations. Si je laisse ces présentations avec ce vocabulaire, c’est pour attirer votre attention sur la nécessité d’utiliser avec discernement le doute rationnel, qui n’a rien d’un doute fondé sur une crainte ni un défaut d’expérience, mais un doute serein qui laisse la possibilité d’une autre approche des affirmations. De fait, vous pouvez en faire un usage constant, mais inutile d’en déduire que, selon toute vraisemblance, le doute existe sur la remontée possible du temps ou que vous pourriez, si la science évoluait plus vite, traverser un mur et vous reconstituer de l’autre côté. Bien, restons donc sur ce propos des auteurs de la théorie de la motivation par la récompense.
Ivan Pavlov (1849-1936) et le conditionnement classique
- Pavlov observe que les chiens auraient une réaction à la récompense et c’est à partir de cette pensée qu’il a postulé que des stimuli neutres (une cloche) pouvaient être associés à une récompense (de la nourriture), déclenchant une réponse physiologique (salivation).
- Cette conception a influencé l’étude des associations entre stimuli et récompenses, posant les bases des recherches sur le renforcement.
Pourtant, Pavlov reprend une structure morale ancienne : celle de la tentation suivie d’une récompense ou d’une punition, héritée des modèles religieux de contrôle du comportement (péché/rédemption, épreuve/paradis, interdiction/promesse).
Ainsi, la cloche pavlovienne devient l’équivalent d’un signal divinisé annonçant une gratification différée : tu agis bien maintenant, tu obtiendras plus tard. Le biais de temporalité contextuelle est ici central : ce n’est pas le cerveau qui fonctionne ainsi, mais l’époque (théologique puis économique) qui projette son système de valeur dans l’analyse des comportements.
Edward Thorndike (1874-1949) et la loi de l’effet
- Thorndike a émis l’hypothèse que les comportements suivis d’une conséquence positive étaient renforcés, tandis que ceux ne produisant aucun bénéfice avaient tendance à s’affaiblir. Cette idée, inspirée d’expériences sur le dressage animal, est à la base de la théorie de la récompense comme facteur déterminant de l’apprentissage.
Donald Hebb (1904-1985) transposition sur la plasticité neuronale
- Hebb a proposé que les neurones qui s’activent ensemble se renforcent mutuellement (principe de Hebb). Il a estimé que la récompense était l’explication de la manière dont le cerveau s’adapte et apprend et cette conception a été adoptée par le monde scientifique comme une vérité.
Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) et le conditionnement opérant
- Skinner a développé la théorie du renforcement positif et négatif, où une récompense (renforcement positif) favorise la répétition d’un comportement.
- Ses expériences avec les rats et pigeons ont démontré que la récompense (nourriture, stimulation) pouvait façonner le comportement.
Les expériences avec des rats et des pigeons ont été extrapolées, et l’idée d’un conditionnement opérant généralisable aux comportements humains s’est imposée dans les sciences du comportement..
Frederick Herzberg (1923-2000) – Théorie des deux facteurs (1959)
La théorie étant là, comment ne pas la transposer à la vie d’entreprise ? Pourtant, une idée est effleurée, celle de la satisfaction et de l’insatisfaction, mais elle n’est pas étudiée, puisque c’est la projection de la récompense qui est au cœur de la théorie, non l’effet homéostatique. Pourtant, Herzberg constate que les facteurs d’hygiène (salaire, conditions de travail) empêchent l’insatisfaction mais ne motivent pas durablement. Il applique alors l’idée que la récompense fonctionne parce qu’elle créerait un vrai engagement au travers de facteurs de motivation tels que la reconnaissance et la réalisation personnelle. La théorie de la récompense s’enrichit avec l’idée que la récompense matérielle ne suffit pas toujours, puisqu’une motivation interne est essentielle.
Herzberg s’est penché sur la motivation au travail et a différencié deux types de facteurs :
- Les facteurs d’hygiène, comme le salaire ou les conditions de travail, qui empêchent l’insatisfaction mais ne stimulent pas durablement.
- Les facteurs de motivation, tels que la reconnaissance ou l’accomplissement personnel, qui engendrent un engagement réel.
- Son modèle met en évidence que la récompense matérielle seule ne suffit pas à générer une motivation durable.
John Atkinson (1923-2003) – Théorie de la motivation à l’accomplissement
- Il a expliqué que la motivation dépend de deux facteurs :
- L’attrait de la récompense.
- La peur de l’échec.
- Les individus cherchent la récompense de la réussite, mais l’évitement de la punition influence aussi leur motivation.
Albert Bandura (1925-2021) – Théorie de l’auto-efficacité
- Il a montré que la perception de sa propre capacité à réussir influence la motivation.
- La récompense externe est importante, mais elle fonctionne surtout quand elle renforce la croyance en ses propres compétences.
- Exemple : un élève qui réussit un exercice grâce à un encouragement sera plus motivé.
Victor Vroom (1932) – Théorie des attentes
- Il affirme que les individus sont motivés quand ils croient que :
- Leur effort mènera à la performance.
- La performance sera récompensée.
- La récompense a une valeur pour eux.
Edwin Locke (1938) – Théorie de la fixation des objectifs (1968)
- Il affirme que les objectifs difficiles et spécifiques motivent plus que des tâches vagues.
- Déduction : la promesse de récompense pousse à la performance.
Richard Thaler (1945) – Nudge et motivation par incitation
- Il a introduit le concept de nudge : plutôt que de contraindre, une récompense subtile peut inciter à adopter un comportement.
- Exemples :
- Programmes de fidélité en entreprise.
- Gamification dans les applications (ex. : récompenses virtuelles).
James Olds (1922-1976) et Peter Milner (1919-2018) : transposition du système de récompense dans le fonctionnement cérébral
- Olds et Milner ont découvert en 1954, que la stimulation électrique de certaines zones du cerveau pouvait déclencher une sensation de plaisir chez des rats.
- Ils ont théorisé un lien entre le système dopaminergique “de la récompense”, impliquant l’aire tegmentale ventrale (ATV) et le noyau accumbens.
- Cette théorie a posé les bases des recherches modernes sur le circuit de la récompense, qui est aujourd’hui devenu central en neurosciences.
Kent Berridge (1957) et Terry Robinson (1951) : wanting et liking
- Ils ont différencié deux aspects de la motivation :
- « Wanting » : désir, recherche de la récompense (dopamine).
- « Liking » : plaisir ressenti une fois la récompense obtenue (opiacés et endocannabinoïdes).
- Leur théorie nuance le modèle de la récompense : la dopamine ne sert pas tant au plaisir qu’à la motivation d’atteindre un objectif.
Daniel Kahneman (1934-2024) et Amos Tversky (1937-1996) : biais cognitifs et récompense psychologique
- Dans leurs travaux sur la prise de décision, ils ont affirmé que la perception des récompenses et des pertes influencerait les comportements économiques et cognitifs. Ils ont ainsi renforcé, peut-être sans le réaliser, un biais cognitif qui associait récompense et prise de décision..
Wolfram Schultz (1944)
- A étudié le rôle de la dopamine dans le système de récompense, démontrant comment les neurones dopaminergiques codent les erreurs de prédiction de récompense.
Robert Rescorla (1940-2020) et Allan Wagner (1934)
- Ont proposé le modèle Rescorla-Wagner du conditionnement classique, qui montre comment l’association entre un stimulus et une récompense se renforce en fonction de la surprise.
Antonio Damasio (1944)
- A étudié le rôle des émotions et des marqueurs somatiques dans la prise de décision, montrant comment la récompense émotionnelle influence les comportements.
Richard Herrnstein (1930)
- A formulé le principe du renforcement relatif (loi de l’appariement), selon lequel les organismes distribuent leurs comportements proportionnellement aux récompenses attendues.
Herbert Simon (1916)
- A exploré la rationalité limitée et la manière dont les récompenses influencent les décisions dans des environnements incertains.
Michael Lewis (1937)
- A étudié l’impact des récompenses sociales (comme la reconnaissance) dans le développement de la motivation et des comportements humains.
Des critiques de la notion de récompense dans la causalité comportementale régulatrice
Edward Deci (1942) et Richard Ryan (1946) : La notion de récompense est culturellement biaisée
- les individus n’agissent pas seulement en fonction d’une récompense externe, mais aussi par intérêt personnel et engagement dans une tâche.
Noam Chomsky (1928) : la récompense n’explique pas tout dans l’apprentissage
- a démontré que l’acquisition du langage chez l’enfant ne pouvait pas être expliquée uniquement par un conditionnement.
Karl J. Friston (1959)
- A développé la théorie du cerveau prédictif, qui explique comment la minimisation de l’énergie libre guide les comportements, suggérant une vision plus computationnelle du système de récompense.
En terminant par Karl Friston – l’un des auteurs reconnus de la théorie du cerveau prédictif – je viens insister sur l’idée que la théorie de la récompense s’inscrit dans un cheminement officialisé. Cette théorie fait autorité aujourd’hui, en affirmant même que le cerveau nous fait fonctionner comme ça et qu’en conséquence nous produisons des modèles informatiques fondés sur la prédictivité.
La série =>
- Tentation, récompense et prédictivité : mythe religieux, fiction socio-économique et biais cognitif de la motivation 1/3 (10 avril)
- Les influenceurs de la pensée unique et dogmatique sur la motivation 2/3 (11 avril)
- La théorie de la motivation par la récompense revue par les théories de l’ajustativité 3/3 (12 avril)