La régulation relationnelle comme secteur économique transversal : une réalité sous-estimée
Découverte d’un marché caché
Jérôme : Bonjour à toutes et à tous. Aujourd’hui, nous allons parler d’un secteur économique que vous ne verrez dans aucun classement, aucun palmarès, mais qui impacte pourtant directement notre quotidien. Il est présent partout : dans nos entreprises, nos familles, nos institutions. Il s’agit de la régulation relationnelle.
Alors Jean-Louis, en quoi consiste cette régulation relationnelle ?
Jean-Louis : Bonjour à tous… Il s’agit de toutes les pratiques qui permettent de prévenir et de gérer les tensions entre les individus, dans tous les domaines de la société : travail, famille, voisinage, administration… C’est un secteur qui mobilise de nombreux professionnels, mais qui reste totalement invisible en tant que marché structuré.
Pourtant, il représente entre 5 et 7 % du PIB en France.
Jérôme : 5 à 7 % du PIB ? C’est colossal ! Pour donner un ordre d’idée, cela représente entre 140 et 190 milliards d’euros. Pourtant, on n’en parle jamais comme d’un secteur économique à part entière.
Jean-Louis : Exactement. On parle souvent d’économie sociale et solidaire, qui représente 10 % du PIB, mais la régulation relationnelle, qui est pourtant un pilier de la stabilité sociale et économique, reste plus que sous-estimée : négligée, voire laissée pour compte !
1. Un secteur omniprésent mais invisible (5 min)
Jérôme : Pourquoi, selon toi, ce secteur est-il aussi peu visible alors qu’il est partout ?
Jean-Louis : Parce qu’il est éclaté en une multitude de professions : avocats, juges, médiateurs, psychologues, responsables RH, conciliateurs, travailleurs sociaux… Ces métiers agissent sur la qualité des relations humaines, mais ils sont dispersés dans des cadres différents.
Jérôme : Prenons un exemple concret. Un conflit au travail, par exemple.
Jean-Louis : Très bon exemple. Lorsqu’un conflit éclate au sein d’une entreprise, cela peut rapidement dégénérer.
- D’abord, les RH interviennent,
- puis les syndicats,
- un médiateur peut être appelé, un coach, un psychologue, un conciliateur…
- parfois un avocat entre en jeu,
- et si la situation s’aggrave, on en arrive au tribunal.
Tout cela coûte du temps, de l’argent et de l’énergie. On parle d’ailleurs d’économie dans le secteur judiciaire… mais c’est encore le modèle “gestionnaire de conflit” qui prédomine…
Jérôme : Et donc, plutôt que de gérer les conflits après coup, il vaudrait mieux investir en amont dans la prévention et la régulation, voire recourir à la médiation professionnelle…
Jean-Louis : Exactement. Si les entreprises investissent davantage dans la qualité relationnelle, si elles s’approprient culturellement les processus et techniques de l’ingénierie relationnelle, elles évitent des pertes financières énormes. Aujourd’hui, on estime que les conflits au travail coûtent plusieurs dizaines de milliards d’euros par an en France.
Jérôme : Un véritable manque à gagner, donc. Un gouffre financier…
Jean-Louis : Oui, et cela concerne aussi la vie privée. Prenons un divorce : il mobilise des avocats, des juges, parfois des psychologues, des notaires… Tout cela fait partie de la régulation relationnelle, mais personne ne le considère comme un secteur économique structuré. Alors, les entreprises ont même intérêt à mettre en place des dispositifs disponibles pour les salariés dans leur vie personnelle…
Un manque de reconnaissance institutionnelle
Jérôme : Pourquoi ce secteur n’est-il pas officiellement reconnu comme un pilier économique ?
Jean-Louis : Il y a plusieurs raisons. D’abord, il est vu comme un ensemble de services indépendants et non comme une industrie. Ensuite, la prévention des conflits est souvent reléguée au second plan, alors qu’elle devrait être une priorité. On ne parle pas (encore) de la qualité relationnelle dans la vie citoyenne. D’ailleurs, c’est assez paradoxal. Nous fonctionnons en priorité dans des champs relationnels. Notre cerveau lui-même est un instrument de la rationalité. Pourtant, il n’est pas vu comme cela. Des chercheurs en font un instrument de spéculation, négligeant la dimension relationnelle. Ce genre de conception explique pourquoi la qualité relationnelle n’est pas spontanément considérée comme un enjeu économique stratégique. Ce n’est pas un sujet dans les matières scolaires. De fait, il y a un manque de coordination entre les différents acteurs.
Jérôme : Quelles pourraient être les solutions pour structurer ce secteur ?
Jean-Louis : Il faudrait d’abord une reconnaissance institutionnelle, avec une intégration dans les analyses économiques. Ensuite, il faudrait favoriser les démarches préventives, notamment en entreprise, pour éviter que les conflits ne dégénèrent. Enfin, promouvoir des approches comme la médiation professionnelle, qui offrent des outils concrets pour réguler les tensions. Il faut un enseignement initial, des perfectionnements dans les études supérieures.
Nous sommes à l’origine de l’ingénierie systémique relationnelle. L’innovation est là. Nous avons des outils, des techniques, des processus. Il faut les populariser.
Comparaison avec d’autres secteurs économiques
Jérôme : Si l’on compare avec d’autres secteurs, à quoi peut-on le rapprocher en termes de poids économique ?
Jean-Louis : Prenons quelques chiffres. L’éducation représente 6,5 % du PIB, la santé publique environ 11 %, la sécurité (police, justice, armée) autour de 3 %. Si on reconnaît la régulation relationnelle comme un secteur à part entière, on voit qu’il est au moins aussi stratégique que l’éducation ou la sécurité.
Jérôme : Donc on investit énormément dans la sécurité et la santé, mais on néglige totalement la qualité relationnelle.
Jean-Louis : Exactement. Pourtant, une meilleure gestion des relations permettrait aussi de réduire la criminalité, d’améliorer la santé mentale et d’optimiser les performances en entreprise.
Vers une nouvelle industrie du mieux-vivre ensemble
Jérôme : Si demain on décide d’investir massivement dans ce secteur, quelles seraient les premières mesures à prendre ?
Jean-Louis : D’abord, structurer les métiers de la régulation relationnelle en un secteur officiel. Simultanément, penser éducation, instruction, formation. Intégrer ces pratiques dans les formations initiales des professionnels : avocats, juges, managers, élus… Enfin, encourager les entreprises à investir dans la qualité relationnelle, avec des incitations fiscales par exemple.
Jérôme : Et la médiation professionnelle et l’ingénierie systémique relationnelle dans tout ça ?
Jean-Louis : Elles jouent un rôle clé, car elles permettent d’anticiper et de résoudre les conflits avant qu’ils ne deviennent destructeurs. En entreprise, en justice, en politique, partout où il y a des interactions humaines, la médiation professionnelle apporte une méthodologie efficace.
Jérôme : C’est d’ailleurs le sujet de la recherche réalisée avec les inventaires NEXUS qui intéressent les organisations, autant dans la perspective d’une actualisation culturelle en management qu’en termes de prévention des risques psychosociaux et de la qualité relationnelle.
Un enjeu pour l’avenir
Jean-Louis : Que la qualité des relations humaines est une ressource économique. Si nous prenons conscience de son importance, nous pourrons non seulement améliorer notre qualité de vie, mais aussi générer des économies considérables.
Jérôme : Merci beaucoup Jean-Louis pour ces éclairages. Nous espérons que cette émission aura permis de mettre en lumière un secteur essentiel mais encore trop méconnu. Merci à vous de nous avoir suivis, et à mercredi prochain sur notre mediateur.tv !
Jean-Louis : Et pensez déjà à participer au Symposium de la médiation professionnelle, en 2025. Il a lieu cette année à Paris, les 16 et 17 octobre. Les réservations sont ouvertes !